Ô poison pire que mortel,
Me ferez-vous crever le coeur ?
Ô poison pire que mortel,
Qui me tient en telle tutelle
Que n'ai ni force ni vigueur ;
Envieuse et fausse querelle,
Plus pute que n'est maquerelle,
Trop me plains de votre rigueur.
Où est Satan, mon gouverneur,
Qui ne vient pas quand je l'appelle ?
O folle, infernale fureur ;
Diables pleins de toute cautelle,
Me ferez-vous crever le coeur ?
Fatrasie et fatras utilisent les mêmes procédés de rupture sémantique, presque toujours cumulés en séries parfois étourdissantes. Le but du discours fatrasique est de briser, au sein de la phrase, les compatibilités normalement exigibles entre verbe et nom, verbe et verbe, nom et nom ou adjectif: soit que l’on pose entre les termes syntaxiquement unis un lien de contradiction (ex. un muet me dit ), soit que l’on conjoigne des catégories sémiques que l’usage courant disjoint (ex. la maison s’approcha ). Toutes les propositions du discours sont ainsi affectées. L’effet produit est accusé par la distribution du vocabulaire: forte prédominance numérique des noms sur les verbes et les adjectifs, d’où un caractère général «substantif», qui donne une impression de collection d’objets d’autant plus forte que ce vocabulaire est entièrement concret; le choix des mots s’opère dans un très petit nombre de champs sémantiques, toujours les mêmes: noms géographiques et toponymes; noms de bêtes sauvages, terribles ou répugnantes; noms de parties du corps; termes de cuisine; obscénités; scatologie; les verbes évoquent en majorité le déplacement, créent par addition une impression de grouillement, de mouvement perpétuel. D’où une suggestion globale de chute, de glissement vers le bas, la trivialité, le digestif et son instrumentation, le dégoût. Cet enchaînement verbal procède, d’une autre manière, de la rime; le poème a souvent l’apparence de bouts-rimés absurdes. Sur ce point, la fatrasie présente une très lointaine analogie avec l’écriture automatique moderne mais une grande proximité avec les Edward Lear, Lewis Carroll, Woody Allen, Streamer, Dubillard, Ionesco et nombre de pataphysiciens, oulipiens ou assimilés.
(Encyclopédie Universalis)