Réalisateur biberonné à la Nouvelle Vague, Jacques Doillon est un cinéaste singulier. Sans grands succès à son actif, il a pourtant laissé une empreinte indélébile dans le cinéma français. Ses films sur l'enfance, comme Ponette, ont fait sa célébrité. Il a aussi fait tourner Isabelle Huppert, Jane Birkin ou encore Charlotte Gainsbourg. Jacques Doillon aime travailler dans le présent, dans l'instant, tourne dans la chronologie de l'histoire (contrairement à 95% des réalisateurs), et n'aime pas les flashbacks.
Comment avez-vous débuté dans le cinéma ?De manière peu classique. Le cinéma était un cercle fermé auquel seuls les "fils de" avaient accès. Issu d'un milieu modeste, je n'avais aucune chance d'y faire carrière, même si je fréquentais souvent le ciné-club du lycée. Après avoir raté deux fois mon bac, j'ai multiplié les petits boulots : postier, assureur... Puis, au détour d'un stage, je suis devenu assistant monteur. De là j'ai gravi tous les échelons jusqu'à la réalisation de mon premier film en 1972 : L'An 01. Un parcours d'autant plus étrange que j'ai toujours trouvé vaniteux l'idée même de vouloir faire un film...
Le tournage avec Gébé (dessinateur et scénariste récemment décédé. NDLR) a été une expérience formidable. Par chance, le film a été distribué et diffusé en salles, ce qui m'a permis, avec l'argent récolté, de réaliser mon second film, Les Doigts dans la tête. Malheureusement, le producteur a fait faillite et s'est enfui avec la caisse. Criblé de dettes, j'ai donc du accepter un film de commande : l'adaptation d'Un Sac de billes, le best-seller de Joseph Joffo. L'histoire des tribulations de deux enfants juifs pendant la seconde guerre mondiale.
C'est le seul film commercial de votre filmographie. Pourquoi ?C'est François Truffaut qui m'avait recommandé au producteur Claude Berri. Mais je n'ai accepté le film qu'à deux conditions : pas de casting imposé et liberté d'adapter le texte de Joffo. Ce n'était pas un mauvais livre, mais les clichés étaient trop nombreux à mon goût. A sa sortie, Un Sac de billes a été très bien reçu par la critique et s'est taillé un joli succès en salles. L'auteur, en revanche, n'a pas apprécié les quelques libertés que j'avais prises avec son texte. Et lors de la renégociation des droits du livre, 30 ans après la sortie du film, Joffo a purement et simplement interdit la diffusion ou l'exploitation commerciale de mon oeuvre !
Mauvaise expérience donc...Sur le moment non. Mais l'idée de ne faire que des films de commande m'angoissait terriblement, c'est vrai. Je voulais retrouver une liberté totale, celle de mes débuts... Quitte à rencontrer des difficultés de financement. En 25 ans, j'ai donc réalisé 25 films assez confidentiels. Certains ont été de jolis succès d'estime, comme Le Petit Criminel en 1990 ou Ponette en 1996. Mais la plupart ont été peu vus par les spectateurs, comme Raja, que j'ai réalisé en 2003.
Comment définiriez-vous votre style ?Je n'en ai aucune idée (rires). Tout se passe au moment du tournage. Le scénario et le montage sont des étapes nécessaires, mais c'est seulement en la filmant qu'une scène dévoile son potentiel. Comme en musique, il y a des notes et des couleurs qui se révèlent au moment de l'interprétation alors qu'elles ne transparaissent pas forcément dans la partition. Ensuite, j'ai plutôt tendance à faire 20 ou 30 prises d'une même scène...
Pourquoi autant ?Pour que les acteurs oublient le texte à force de le dire, qu'ils trouvent autre chose. Souvent, au bout de la 18ème ou 19ème prise, quelque chose se passe, une harmonie parfaite qui n'existait pas dans les premiers essais. Un film c'est musical : il faut que acteurs et réalisateur jouent les bonnes notes, en même temps et au bon tempo. C'est une méthode fatigante pour les acteurs, mais payante au bout du compte.
Vous êtes pourtant connu pour mettre en scène des enfants dans vos films (Un Sac de billes, La Drôlesse, Ponette...). Ils doivent vite se lasser avec votre méthode.Au contraire ! Les enfants ont envie de vous faire plaisir. Beaucoup plus que bien des acteurs. Ils ne veulent pas décevoir. Dans Ponette, l'actrice principale avait 4 ans et je faisais pourtant 10 prises, 15 prises, 20 prises. On me l'a beaucoup reproché. Les gens du métier m'ont pris pour un esclavagiste. Mais ce n'est qu'en répétant les scènes encore et encore que l'enfant se libère du texte et donne enfin le sentiment de l'improviser. C'est alors que la vérité de la scène éclate. Faire tourner un enfant, revient à travailler une matière brute, pleine d'atouts et de promesses. Bien sûr, il faut réussir son casting, travailler, établir une relation... Mais le résultat peut-être à la hauteur des efforts consentis ; il faut faire confiance aux enfants et à leurs capacités.
Vous affectionnez aussi les huis-clos...Normal : il s'en passe plus dans les cuisines que dans la rue. Je travaille du côté de l'intimité, donc plutôt en intérieur, même si c'est surtout une question d'humeur au moment de tourner. Une seule chose est sûre : travailler en intérieur favorise la concentration des acteurs. Surtout, je ne dispose que d'une heure et demi pour raconter mon histoire. Alors je préfère resserrer l'intrigue sur deux ou trois personnages, que m'éparpiller avec une quinzaine.
Un dernier mot sur votre fille Lou Doillon. Vous suivez sa carrière de près ?Oui, d'autant plus qu'elle est un peu désabusée. Elle a décidé de faire cette carrière à l'âge de16 ans. Mais aujourd'hui, elle ne travaille pas tant que ça... Pour l'avoir dirigée, je sais à quel point elle est douée, mais elle n'a pas de grands succès à son actif. Et tout ce qu'on lui donne à lire n'est pas terrible. Elle est donc dans une espèce d'attente, de désillusion par rapport à ce métier. J'espère vraiment que les choses vont évoluer pour elle...
Filmographie sélective :
Raja : 2003 Avec Pascal Greggory, Najat Benssallem...
Carrément à l'ouest : 2001, avec Lou Doillon, Caroline Ducey...
Petits frères : 1999, avec Stéphanie Touly, Iliès Sefraoui...
Trop (peu) d'amour : 1997, avec Lambert Wilson, Elise Perrier...
Ponette : 1996, avec Victoire Thivisol, Delphine Schiltz...
Du Fond du coeur : 1994, avec Anne Brochet, Benoît Régent...
Le Jeune Werther : 1993, avec Ismaël Jole-Ménébhi, Faye Anastasia...
Amoureuse : 1992, avec Charlotte Gainsbourg, Yvan Attal...
Le Petit criminel : 1990, avec Richard Anconina, Gérald Thomassin...
La Vengeance d'une femme : 2001, avec Isabelle Huppert, Béatrice Dalle...
La Fille de 15 ans : 1989, avec Judith Godrèche, Melvil Poupaud...
L'Amoureuse : 1987, avec Marianne Denicourt, Aurelle Dozan...
Comédie : 1987, avec Alain Souchon, Jane Birkin...
La Puritaine : 1986, avec Michel Piccoli, Laurent Malet...
La Vie de Famille : 1985, avec Sami Frey, Mara Goyet...
La Pirate : 1984, avec Jane Birkin, Maruschka Detmers...
La Fille Prodigue : 1981, avec Jane Birkin, Michel Piccoli...
La Drôlesse : 1979, avec Madeleine Desdevises, Claude Hebert...
La Femme qui pleure : 1979, avec Haydee Politoff, Jacques Doillon...
Un Sac de billes : 1975, avec Richard Constantini, Paul-Eric Schulmann...
Les Doigts dans la tête : 1974, avec Christophe Soto, Olivier Bousquet...
L'An 01 : 1973, avec Cabu, François Cavanna...